17 juin 2007

Premier départ

[…] Il s'installa au bar et entreprit d'écrire. Il écrivit vite, sans rature, sans se relire, sûr de lui-même, sûr que ce qu'il griffait-là venait de son noyau le plus vrai, le moins touché par l'extérieur, le moins influencé par les lectures, les avis, les doutes et les reproches. L'être brut de ce qui le composait. La nature mystérieuse de ses désirs d'ailleurs s'offrait ainsi à la feuille de son carnet noir après tant d'âpres combats. Il récoltait les phrases qu'avaient semées ses actes. Il tournait les pages rapidement, passant de l'une à l'autre sans hésiter, presque sans réfléchir… "On ne demande pas qui donne, on prend et c'est tout." Il continua ainsi, fumant abondamment, haletant comme une bête en pleine course. Il était la Bête de Somme aux velléités d'Aigle. Il se parlait à lui-même, oscillait de la main comme le chef d'orchestre tendu de ses émotions. Il contemplait les étourdissements faits mots qui déboulaient en hordes désorganisées, furieuses, prêtes à tout pour parvenir au Sens, même à le détruire lui et tout ce qu'il ne représentait pas encore. Il prit conscience du danger immense que représentait sa recherche du Sens, comme on prend conscience de la mort au moment où la balle pénètre l'ossature du crâne. Il vit tout ça en une demi-fraction de seconde qui dura l'éternité de la vérité qu'il venait de sentir. Il la ressentit dans son corps, comme un électrochoc sur le velours rouge de sa jeunesse. Il avait vu la Chose. Dès lors, sa quête prit l'allure d'un forage du corps, d'un dévoilement du Sens, sans pitié, plus que la recherche d'une maîtrise quelconque.

Charles Letellier
Suite à découvrir dans le format papier d'ANANDA disponible sur demande ici...

Aucun commentaire: