8 janvier 2009

L'aurore du Corpus par Charles Letellier

Lors d'un voyage dans une des dernières contrées sauvage d'Europe occidentale, par -19°C, j'en vins à essayer de me figurer le corps. Le corps dans sa capacité de dépassement, d'outre- surpassement, le corps d'une certaine grande santé comme disait l'autre. -19° C, un sacré déluge de pluie glacée, une pente brute recouverte de glace et ce corps, tenace et résistant, qui malgré la minceur des vêtements qu'il porte, n'en développe pas moins une chaleur incroyablement élevée. Des images de volcans sous-marins en éruption dans les eaux glacées des grands fonds se rappelèrent à mon esprit. Qu'en est-il du corps, pensais-je, le front dégoulinant de neige fondue et de transpiration mêlées? Qu'en est-il du corps à mesure que ses mécanismes charnels tendent tous vers le paroxysme?
Tout se passe comme si l'ensemble de la pensée actuelle s'évertuait à vouloir le tamiser, à lui soustraire ses effrayantes capacités de démiurge de l'humain. Effrayantes pour les tenants de son affaissement et pour les théoriciens de l'esprit pur qui se complaisent à le limiter à ses plus strictes obédiences : nourriture, sommeil, excréments, voire, pour les plus fins (devrai-je dire les plus minces?) d'une once de désir hédoniste où la part instinctive est recouverte de strates d'intellect toujours plus épaisses qui sont autant de catafalques la séparant du savoir direct, qui est celui du corps.
Le corps ne serait donc que ça, une usine à caractère bio-embarquée de retraitement de l'ordure individuelle, une engeance organique si peu estimée – puisqu'elle génère de l'ordure – qu'elle ne semble pas digne de ce que les savoirs intellectuels échouent immanquablement à incarner depuis des lustres. Le Savoir du corps est autre et il n'est guère décoré comme peuvent l'être les savoirs de l'esprit. Il est d'une nature brute, forcément cruelle puisque foncièrement impolie, il s'active sur d'autres fréquences que celles utilisées dans les milieux intellectuels de Paris et d'ailleurs, notamment ceux qui se disent détenteur de la nouvelle Vérité Officielle. Sans doute un problème de langage, n'est-ce pas?
On croit s'en libérer, du corps, en le rendant systématiquement invisible dans ses expressions premières : transpiration, pilosité, borborygmes variés, dégradations diverses etc. On célèbre le corps parfait des porteurs de slibard aux initiales en K, on en fait la vitrine en gonflette d'un bien-être repu de moisissures et de mensonges, rongé de l'intérieur par le manque fondamental de sens et d'énergie. On l'exhorte au mutisme de ses instincts viscéraux et, une fois de plus, on consomme comme une victoire la domination morbide que la Raison et l'Esprit font peser sur la Matière.
Après des siècles de médisance et de soupçons chrétiens, voici qu'avance à grand pas l'idéologie de l'aseptisation totale, du dédain intellectuel et du mépris spirituel pour tout ce qui touche de près ou de loin au corps. Il va de soi que l'humanité ne pourra réellement évoluer qu'avec la volonté farouche de développer une conscience absolue du corps, qu'en y versant une vie spirituelle et mentale si intense et si profondément vraie que ce dernier n'aura plus d'autre choix que d'exploser les petits gonds rouillés où la nouvelle et toujours bonne société nous dit qu'il doit se cantonner, ou de pourrir éternellement jusqu'à la mort, encore et toujours.
A l'aurore du CORPUS, chers lecteurs, je vous souhaite la bienvenue dans ce cinquième numéro d'Ananda qui fête ses deux ans.

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