7 mars 2007

L’élève par Charles Letellier


Le choc se produisit dans l’obscurité inquiétante d’un soir. Il n’eut pas la forme d’une détonation à proprement parler. Ce fut un bruit, certes, au début, mais continu, discret et insoupçonnable, un glissement reptilien parmi les feuillages d’un automne qui n’en finissait plus. Personne n’y prêta attention au début parce que, à vrai dire, il y a des bruits, comme certaines odeurs, d’une subtilité trop grande et que ne peuvent saisir d’habituelles oreilles et d’ordinaires nez.
120 garçons sont concentrés, là, dans la salle E 700, la plus grande. Ils respirent tous. Tout est silencieux. Imposé au silence. Forcé d’obéir à la Loi Disciplinaire. Quelqu’un au milieu de la salle est assis sur une estrade. Parfois, il se lève et parcourt les allées muettes. Certains effrontés en profitent pour lancer des boules de papiers, des crachats, des magazines. Les murs suent du Dioxyde de Carbone exhalé des 120 corps respirant et attablés, des 120 bouches aux haleines ingrates que les sucs gastriques, appelés par la faim, rendent suffocantes. Les murs sont gras et collants de quarante années de similaires assauts quotidiens. Le carrelage en est devenu orange, la peinture blanche s’est écaillée, il y a longtemps déjà. Tout ici n’est que moiteur et touffeur mais rien ne permet de rappeler l’existence d’un quelconque tropique.
Il fait nuit dehors, évidemment. Comment pourrait-il faire jour ici ? Il n’a jamais fait jour ici, le soleil se le rappellerait. Il en aurait pâli, d’un tel spectacle.

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