16 décembre 2007

La saccadanse du rythme par Charles Letellier

A l'origine n'était pas le Verbe, moins encore l'Emotion. A l'origine était le Rythme. La formidable aventure qui mena la première des amibes jusqu'à l'explosion des savoirs et la maîtrise effrénée et inconsciente de la technique, fut incitée presque directement par un rythme primordial, responsable des poussées et des fulgurances dont les humains ont décliné bien des terminaisons depuis la nuit des temps.
A l'origine était le Rythme, saccadé, de la vie qui s'accroche, improbable, en sursis. Pulsion irraisonnable de la montée en puissance d'une complexité proche de l'infinie, le Rythme dansait sur les corniches de volcans en explosion, en éructant les tressaillements du vivant.


La Saccadanse du rythme propulse le corps dans un état proche de l'extase. Les mesures sont frappées de l'intérieur. Sans faire attention, l'origine en prend pour son grade et se trouve dépassée par cela même qu'elle a engendré. Quand si peu de choses sont encore dignes de subir l'ire du Verbe, si peu parce que beaucoup suscitent avant tout mépris et indifférence, une chose nécessite toute la concentration de la colère et de ses lieutenants. Dans une époque où les corps s'affalent et s'essoufflent, se perdent dans les affres neutres de la mélancolie et d'une certaine amnésie des savoirs primordiaux, les rythmes du corps doivent être utilisés contre cet affaissement même. Ils doivent procéder du même redressement que celui qui pousse l'esclave à se lever.

Leur principal ennemi est aussi leur meilleur atout. Et c'est contre le corps lui-même, qui est le plus terrible de nos asservissements, mais aussi contre ses réactions les plus oiseuses et laxistes, contre sa terrible facilité à ne plus s'appartenir que la lutte est à mener. Mais si c'est d'une lutte dont il s'agit, lutte du corps contre le corps, on aura aussi compris que jamais celle-là ne pourra s'accomplir sans celui-ci, c'est-à-dire par le travail d'un esprit dont la réflexion serait coupée d'un certain matérialisme. Le corps est en même temps le problème et la solution.
[…]

Je dis qu'il faut mettre la même rage curieuse, la même furieuse folie de découvrir dans le corps que celle qui inspira les hommes pour aller à la conquête de la Terre. Je vois l'écrivain d'aujourd'hui et, de manière générale, les artistes comme des êtres devant faire preuve des mêmes audaces et du même courage qu'un Magellan de la conscience ou qu'un Marco Polo de la connaissance infatigable découvreur de ces Terra Interioras, certainement plus vastes que celles dites incognitas…

Si la vérité de l'être, qui est bien le but le plus haut pour ces chercheurs dont je parle (chercheurs qui peuvent se trouver à toutes les couches de la société), peut être conquise, elle ne le pourra que par celui qui mettra et son esprit et son corps dans la tourmente de la colère qui refuse. En affirmant un "Non!" ferme, catégorique et joyeux à la sottise sans fin des hommes, à la médiocrité de système et aux parcelles de vérité qu'on nous présente comme entières et parfaites, le rythme est amorcé qui mène au ravalement intérieur de la vie et, par là, au changement de conscience car, alors, la colère devient une force subjuguant le mensonge, incroyablement puissante dans sa capacité à faire apparaître les vérités enfouies. Elle devient le prédateur affamé qui traque, jusqu'en des lieux qui en sont apparemment exempts, la fausseté et l'hypocrisie. Elle est une partie de l'instinct de refus suprême qui remet sans cesse sur l'ouvrage ce qu'on l'avait incité à accepter tel quel. Elle est le Soupçon en forage, dans sa qualité à œuvrer vers le bas. Sa contrepartie réside dans l'affirmation constante de l'intuition de la vie appuyée sur l'expérience quotidienne du dépassement de soi. La colère rehausse le sentiment moyen, l'émotion et l'idée moyenne au rang de sentiment sulfureux, d'émotion démesurée et d'idée subversive. Elle projette l'image de l'homme après l'homme qui sera totalement exempt de colère car accompli, un et unique. En ce sens, la colère n'est qu'un événement passager pouvant mener à l'accomplissement de l'unité de l'homme. C'est évidemment une des voies possibles parmi l'infinité de celle qui s'offre à nous. Il n'y a de vérité que dans notre propre vérité et ce qui vaut pour moi n'a pas forcément valeur chez l'autre. Certain s'y reconnaîtront, d'autres non. L'esprit de ce texte n'est pas de convaincre mais bien de montrer qu'une certaine démarche, poussée à l'extrême et réfléchie, peut provoquer plus de Sens et inciter à plus de changements que bien des livres et des psychanalyses…

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