17 juillet 2007

Ebullitions ou la démesure du réel - Part 1 - Incipit. Par Charles Letellier

Donc, nous voilà lancés. Partis. À deux cents à l’heure, le temps avance presque au ralenti. Sacré paradoxe… Ultime paradoxe ! Les règles sont simples : ne rien dire d’autre que la vérité. Non, pas toute la vérité. Mais la vie. L’extirper. La tirer. L’appeler de toutes les forces en présence, toutes les failles par lesquelles elle pourrait se glisser. Maudire les ruches, applaudir les funambules. Aimer, jusqu’à en devenir taré, les désordres structuraux. Donner des morceaux de cœur, les jeter aux quatre vents, comme on nourrit des fauves. Pas grand chose, finalement. C’est plus une tentation à l’inquiétante idée de se gorger de tout. Les cinq sens exacerbés, même pas alertes, en branle-bas magmatique. Comme des petits picots sensoriels à chaque nanomètre de peau. Disons aussi, un rythme, une cadence, une musique. Non pas suggérer, non ! Affirmer, plutôt. Affirmer fermement les affairements du forage, obnubilé par la sensation de toutes les directions. Oui, c’est cela, un rythme médusé de lui-même, effréné comme un verre qui cogne le sol. Un étourdissant chantonnement pour donner aux sourdes mélodies tout le loisir d’abreuver de notes ces noces gargantuesques célébrées au pied d’un banian géant… Oui, il s’agit bien de cela, d’un mariage. D’un mariage de sang noir et de fulgurance. Ou, mettons, d’une ré-union. Union de nouveau après trop d’exils meurtriers. Il en serait temps. Grand temps. Ça presse, ça urge, ça cogne… Faut bien faire quelque chose. Alors oui, extirper la vie de sa moelle, lui faire dire toutes ses furieuses beautés, ses éclairs souterrains qui forgent les sommets. Sacrée partie de déplaisirs en vérité. Tout par-delà… Les peines, les tracas, indicibles petites souffrances ; les joies, les plaisirs ; gigantesques rumeurs aux accents en guenille… On n’esbroufe point le monde de ses sommets, y a vraiment que la route empruntée qui compte. Tout ça n’est qu’un début, un « truc » qui s’amoncelle, qui déborde, qui gigote comme dans une marmite écaillée ; un « truc » qui ne stagne jamais, qui bouillonne trop pour être autre chose que vrai… Véritablement, qu’est-ce que c’est ? J’emploie tous les lexiques du débordement, les teste, les approuve mais n’en trouve que rarement le sens. « Un truc qui gigote », qu’est-ce que c’est, à la fin ? La création, la folie qui y pousse – qui y pousse comme dans un abîme –, les marches citadines forcées, les démons aux mains sales, le sel sur la langue, le langage brut et brutal, les mots partouzant à l’orée de mon cortex et de ma peau comme des métastases filantes, filant l’apocalypse en même temps que la vérité… Ces chemins détournés desquels adviennent les vérités… Dire tout cela ? … Quelle effronterie à la gueule de la pudeur ! Pas très grave… Je m’en fous même. Je vais faire mon histoire géologique, expliquer la formation de mon sommet. Dire tout dans le détail.
On ne se rend pas bien compte de la platitude originelle de l’Himalaya, avant même qu’il n’aille se pendre aux cirrocumulus et se gaver d’éther.
Oui, donc, nous voilà enfin lancés. Partis. Et ce n’est pas d’une course dont il est question mais bien d’une frousse jugulant les symptômes réfractaires à l’éclosion des jours… Des légions de symptômes, des lèpres à diffusion évasées, des morceaux de chairs en couperet qui frisent les larmes à force d’être aussi saignants. Un peu d’attention, ces choses impalpables qui parfois empêchent, parfois provoquent. Ce n’est pas un paravent magnétique, c’est gluant, ça colle, ça suinte…
Allez-y approchez, mesdames et messieurs, venez voir la bête… Aujourd’hui débute la super foire de l’âme, de l’âme au rabais et, attention hein, de la véritable, de l’âme de guerrier, de la noble ! C’est la dernière offre aujourd’hui. L’offre totale, celle à perpétuité. Profitez-en ! Plus de changement possible. Plus moyen de reculer. Ça dure à vie. Pas besoin de revenir dans trois ans. Ah ! Sacré voyage… « Qu’elle est belle la recherche… » Allez y montrez-moi votre carte fidélité… Vous n’en avez pas ? Mais si, là, incrustée au bas du dos, pendante au bout des mains, générée dans les mollets, radieusement approuvée par le cubitus, battante dans la poitrine, délectable dans la bouche, sur la pointe des sens ! Alors vous voyez, vous faites partie de mon club, non ? Allons ne vous assassinez pas tout de suite, mon cher…
Alors oui, une frousse, parce qu’il faut bien en finir avec cette idée de ruche médiocratique quand celle-ci est trop foutrement fausse ! Et maudit soit-elle et son ton con-descendant suggérant de graves similitudes ! Il arrive que les mots parlent d’eux-mêmes. La détermination dont je parle n’est pas ruchée, elle « cherche des hommes » et sait se percer la dalle s’il faut rester digne… Même si, pour cela, il faut boire le pétrole de sa lanterne.
Avançons, amis, sur ces pentes grises et grisantes qui jalonnent, quand nous le daignons, nos étirements de rogomme. C’est sûr, nous douterons encore un peu, en parlant du feu. Mais n’est-ce pas parce que celui-ci nous chatouille trop les oreilles que nous sommes promptes à nous cramer les ailes ?
A suivre...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ne craignez rien, cet homme n'a fait qu'avaler la fauverie du Jardin des Plantes pour son petit-déj. Il est rassasié jusqu'à... eh merde c'est déjà l'heure du prochain repas ! Z'auriez pas un ours sous la main ? C'est pour les besoins de la Recherche (qu'elle est belle...)

Tolb

Anonyme a dit…

C'est une joie que de découvrir ce feuilleton de l'été - sans concessions - Quel souffle, quelle rage! les mots hurlent à la vie à la mort. Toujours plus loin dans le dé-morcellement des corps chevillés à la morne pesanteur terrestre. Ce n'est pas de la littérature mais une guerre, un témoignage de combat désespéré dont on sait l'issue tragique. Toute littérature qui ne crie pas ne vaut rien d'autre qu'une faveur insignifiante sur les comptoirs (libraires) de l'apparence. Et justement, c'est bien là où je veux en venir: cette intention superbe de tout publier sur réseau, les lecteurs inactuels la méritent-ils vraiment? Qu'ont-ils donné d'eux-même pour piocher sans vergogne - facilement - dans cette mine douloureuse?

Daoud