7 mars 2007

NO MAN’S LAND CIRCUS par Lionel Blot

– Dire qu’il fallait que tu t’appelles Eléazar.
Ça m’a réveillé en sursaut. Elle s’est mise à parler brusquement, elle n’avait pas prévenu, chez elle tout est dans la rupture de ton, l’effraction du sommeil, la dislocation du corps. Il faut entendre sa voix refluer, le point d’intonation ubiquitaire, son timbre retourné, sa façon d’articuler à l’envers. Ici, la conscience se met à vaciller légèrement, le temps d’un vertige, celui d’éprouver nettement la sensation d’une impossibilité géographique, d’une contradiction interne à toute géométrie, comme si les pôles s’inversaient dans l’espace. Elle avait cette gravité, cette vibration de basse qui semblait percer d’un cercueil de terre, et en même temps comme une légèreté musicale, une luminosité tombée d’un astre et restée là en suspension. J’ai ouvert les yeux, elle était accoudée sur le lit, son visage penché sur le mien, je ne me souvenais plus vraiment d’elle mais une ombre familière glissait sur son visage, quelque chose qui portait la marque d’amours défuntes, les stries de ces souffrances et de ces joies qui déchirent les cordons nerveux et parcheminent la peau. Dans son regard : l’Histoire. La scène primitive et le dénouement tragique. J’ai demandé :
– Tu m’emmènes en voyage ?
– Eh oui.
– Aucun billet retour ?
– Pas sûr. Tout dépend de toi...

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