18 décembre 2007

Extraits Oyé oyé!

Il y a maintenant des extraits de textes du dernier numéro d'Ananda ainsi qu'une (vieille) vidéo sur une des soirées que nous avons organisé cette année. Allez donc faire un tour du côté de la bande de droite (non, je ne parlais pas de celle actuellement au pouvoir, bougre!).

16 décembre 2007

EDITO

La Saccadanse du Rythme

Ce numéro s'annonce spécial car nous n'avons pu tomber d'accord sur aucun des points qui nous intéressaient. Pourtant, nous ne sommes jamais parvenus à nous contredire. La parole a été libre, brute, réfléchie, avec autant de paradoxe que la vérité.
Sans cadeau aucun, sans coups de littérature-réalité, nous avons écrit ces textes de fortes natures en allant de l'avant. Et la seule chose qui nous reliait, sûrement, dans cette instinctivité, était la conscience de vivre une époque impitoyable et unique en son genre. Dénuée de rythme, en surplus de cadence! Peut-être, mais de l'avant quoi qu'il advienne…

Il y a une beauté sauvage qui nous échappe dans le devenir technologique de l'humanité. Et au-delà de la phrase, un quotidien qui regorge d'abrupts bonheurs et d'incertitudes.

Cette furie,
A l'aune…

De l'agitation vaine et inutile d'un monde d'insensés qui peut bien courir à sa perte au mouvement capable de sortir l'homme du cercle insensé, justement, où l'agitation de bocal et l'indignation de salon règnent sans partage, à quoi vibre-t-elle, cette chose qui nous anime?
A la Saccadanse du Rythme ? A la Joie! A la Colère! Au bonheur! A la souffrance! Pas assez! Plus! Encore! Pourquoi! De l'avant! Et que sais-je!

Cher lecteur, je t'invite à visiter le sacré monument de la vie.
Et à t'y installer, Diable!


C.L.
novembre 2007

La saccadanse du rythme par Charles Letellier

A l'origine n'était pas le Verbe, moins encore l'Emotion. A l'origine était le Rythme. La formidable aventure qui mena la première des amibes jusqu'à l'explosion des savoirs et la maîtrise effrénée et inconsciente de la technique, fut incitée presque directement par un rythme primordial, responsable des poussées et des fulgurances dont les humains ont décliné bien des terminaisons depuis la nuit des temps.
A l'origine était le Rythme, saccadé, de la vie qui s'accroche, improbable, en sursis. Pulsion irraisonnable de la montée en puissance d'une complexité proche de l'infinie, le Rythme dansait sur les corniches de volcans en explosion, en éructant les tressaillements du vivant.


La Saccadanse du rythme propulse le corps dans un état proche de l'extase. Les mesures sont frappées de l'intérieur. Sans faire attention, l'origine en prend pour son grade et se trouve dépassée par cela même qu'elle a engendré. Quand si peu de choses sont encore dignes de subir l'ire du Verbe, si peu parce que beaucoup suscitent avant tout mépris et indifférence, une chose nécessite toute la concentration de la colère et de ses lieutenants. Dans une époque où les corps s'affalent et s'essoufflent, se perdent dans les affres neutres de la mélancolie et d'une certaine amnésie des savoirs primordiaux, les rythmes du corps doivent être utilisés contre cet affaissement même. Ils doivent procéder du même redressement que celui qui pousse l'esclave à se lever.

Leur principal ennemi est aussi leur meilleur atout. Et c'est contre le corps lui-même, qui est le plus terrible de nos asservissements, mais aussi contre ses réactions les plus oiseuses et laxistes, contre sa terrible facilité à ne plus s'appartenir que la lutte est à mener. Mais si c'est d'une lutte dont il s'agit, lutte du corps contre le corps, on aura aussi compris que jamais celle-là ne pourra s'accomplir sans celui-ci, c'est-à-dire par le travail d'un esprit dont la réflexion serait coupée d'un certain matérialisme. Le corps est en même temps le problème et la solution.
[…]

Je dis qu'il faut mettre la même rage curieuse, la même furieuse folie de découvrir dans le corps que celle qui inspira les hommes pour aller à la conquête de la Terre. Je vois l'écrivain d'aujourd'hui et, de manière générale, les artistes comme des êtres devant faire preuve des mêmes audaces et du même courage qu'un Magellan de la conscience ou qu'un Marco Polo de la connaissance infatigable découvreur de ces Terra Interioras, certainement plus vastes que celles dites incognitas…

Si la vérité de l'être, qui est bien le but le plus haut pour ces chercheurs dont je parle (chercheurs qui peuvent se trouver à toutes les couches de la société), peut être conquise, elle ne le pourra que par celui qui mettra et son esprit et son corps dans la tourmente de la colère qui refuse. En affirmant un "Non!" ferme, catégorique et joyeux à la sottise sans fin des hommes, à la médiocrité de système et aux parcelles de vérité qu'on nous présente comme entières et parfaites, le rythme est amorcé qui mène au ravalement intérieur de la vie et, par là, au changement de conscience car, alors, la colère devient une force subjuguant le mensonge, incroyablement puissante dans sa capacité à faire apparaître les vérités enfouies. Elle devient le prédateur affamé qui traque, jusqu'en des lieux qui en sont apparemment exempts, la fausseté et l'hypocrisie. Elle est une partie de l'instinct de refus suprême qui remet sans cesse sur l'ouvrage ce qu'on l'avait incité à accepter tel quel. Elle est le Soupçon en forage, dans sa qualité à œuvrer vers le bas. Sa contrepartie réside dans l'affirmation constante de l'intuition de la vie appuyée sur l'expérience quotidienne du dépassement de soi. La colère rehausse le sentiment moyen, l'émotion et l'idée moyenne au rang de sentiment sulfureux, d'émotion démesurée et d'idée subversive. Elle projette l'image de l'homme après l'homme qui sera totalement exempt de colère car accompli, un et unique. En ce sens, la colère n'est qu'un événement passager pouvant mener à l'accomplissement de l'unité de l'homme. C'est évidemment une des voies possibles parmi l'infinité de celle qui s'offre à nous. Il n'y a de vérité que dans notre propre vérité et ce qui vaut pour moi n'a pas forcément valeur chez l'autre. Certain s'y reconnaîtront, d'autres non. L'esprit de ce texte n'est pas de convaincre mais bien de montrer qu'une certaine démarche, poussée à l'extrême et réfléchie, peut provoquer plus de Sens et inciter à plus de changements que bien des livres et des psychanalyses…

La fureur pour rien par Lionel Blot

Zèbre-Fou me retient par la manche. Je reconnais l'écriture sur l'enveloppe, aucun doute, c'est elle mais Zèbre-Fou insiste, il m'assure que je fais fausse route, que la question est à la colère, pas à l'indignation, que je confonds tout en somme. Ah ! C'est qu'il connaît ses classiques, Zèbre-Fou ! Il sait qu'avant de signer Zarathoustra toute sa correspondance, le Crucifié de Sils-Maria diagnostiquait que personne ne ment plus qu'un homme indigné, un croisé qui brandit l'étendard de la conscience morale universelle. Sa colère, à Zèbre-Fou, il faut que je l'imagine, est d'un autre ordre, c'est une herbe ensemencée dans les viscères, une vibration courant le long de l'épine dorsale, un appétit de vie qui se vit à l'étroit sous son costume de chair et exulte de déborder sur le monde. Sa colère est donc une joie, et cette joie, c'est dans la colère qu'elle s'exprime, parce qu'elle languit au bal des dépressifs, elle s'impatiente au spectacle de la passivité et de la résignation institutionnalisées.

Mais la lettre est là, elle languit à son tour de ne pouvoir être lue, elle voudrait être bue comme est bu ce Chianti que Zèbre-Fou entame. Il a bon goût, mon rédac'chef, mais sa colère est encore assistée, elle est tributaire d'un mouvement exogène, elle n'a pas le front assez haut pour surplomber la scène. Tu peux m'écrire quinze mille signes sur la Colère, me demande Zèbre-Fou. - Sur ce qu'il te plaira, mon ami, mais je vais bien, tu sais, les hommes ne sont guère plus venimeux que des moucherons, il y a longtemps qu’ils ne piquent plus. D'ailleurs le monde s'est dépeuplé, plus personne n'y habite sauf moi, et cette femme à la lettre qui dit viens à mon enveloppe. Parfois on y croise quelque fantôme qui fredonne un air gai, ou un couple de spectres qu'on peut regarder danser. Mais tu t'énerves, Zèbre-Fou, ressers-toi un verre, assieds-toi, il n'y a pas de quoi s'emporter. Tu dis qu'il y a des massacres, des suicides, du ressentiment qui germe un peu partout ? Ah bon, vraiment ? Et puis la misère, l’industrie pornographique, la marchandisation des hommes, les sectes, la laïcité en soutane, la clergie en étalage ? Ce n'est pas tout ? Les infortunes de la vertu, la prospérité du vice ? Quoi, relire Voltaire de toute urgence ? Tu plaisantes. Tu plaides pour un retournement de l'Histoire ? Le point de suture en plein dix-huitième siècle ? On en est donc arrivé là, mais non, c'est impossible, laisse-moi, Zèbre-Fou, je te rends ta colère, tiens, voilà, je retourne en orbite, le monde n'existe pas puisque je n'y pense pas.

A suivre dans le numéro 4...

A fleur de sang par David Falkowicz

I – Rompez ! Mordez ! Brutalisez !
Gare à vous !
Obéissez ! Partez !
De toutes les déclinaisons du sang
Les entrailles s’ouvrent à grandes enjambées
Se heurtent aux poussières
Des répétitions mécaniques
Voici venir le temps de la corruption
Du grand abêtissement
Le moment de faire éclater les bons sentiments
Les servitudes jouissives
Le corps regimbe ! La poitrine se comprime !
Les nerfs se passionnent se fixent se durcissent !
Le sang accélère sa cadence !
Génie de ces projets bien huilés
Avec toute la bonne conscience que cela implique
Paresseux ! Chiens ! Travailleurs !
Ne bronchez pas ! Idolâtrez ! Chargez !
Le revolver en salves d’artilleries
Enchaîne des concerts de balles
Les trahisons s’amorcent
Les dédains se soulèvent
Et les troupes affamées
Faites de métal et de nerf
Avancent sans passion
D’un bloc
Le fusil en extension du bras
Le geste meurtrier en réclame
Les frustrations du corps oppressé
Les tendons d’une chair noire aux regards bleutés
Une colère obstinée mais fausse
Brûlure de la solitude
Désaveu du terrible
Charge et décharge d’une angoisse
De terre et de cuivre
Balayez toute cette mollesse !
Ces politesses glaçantes !
Les médiocrités sont à contourner
Le dos se redresse
La main dangereuse
Saigne dans ses combats les plus exigeants
La mémoire est catapulte
Qui se laisse blesser par la vie courante...


A suivre ICI...