1 mai 2008

Au banquet des substances vides par Charles Letellier

Dessin de Jiho

Je peux dire, sans exagération, que l'agacement dont fait preuve J.B. Grenouille dans le Parfum à l'égard de ses "non-semblables", incapables de détecter dans les odeurs la moindre nuance ou ne serait-ce que la plus petite tonalité, est le même qui m'anime lorsque se trouve sur mon chemin des gens pour croire que la prose émotive que leur petit moi a vomit un soir de manque d'égo a un quelconque intérêt littéraire car elle suppose la même ignorance des mots que celle qui prétend ne rien sentir quand cela est proprement impossible, car cela ne sens jamais rien. Ce n'est pas tant le fait de l'écrire qui est grave mais plutôt l'incroyable impudeur dans laquelle se vautrent ceux qui se disent écrivains aujourd'hui.

Saura-t-on jamais ce que l'écriture requiert de souffrance, de solitude et de dépassement de soi? En aura-t-on jamais conscience en ce 21ième siècle, naissant d'exhibition, prompt à aimer tout ce qui peut rapporter? Une fois de plus, on m'objectera que n'importe quel quidam, le premier venu, a le droit d'écrire – et de publier – les divagations narcissiques de son égo malmené par la dureté de nos sociétés. Peut-être. Mais regardons les exigences que requiert, par exemple, la sculpture du marbre et du bronze, matières nobles entre toutes. Qui oserai s'y frotter sans une solide expérience, rehaussée d'un talent véritable prenant sa source dans les plus profondes racines de l'être et de la vie? Qui? Sûrement pas le premier quidam venu, justement. Mais notre beau monde est parvenu à un tel degré de vulgarité et de médiocrité que les mots semblent pouvoir être utilisés à toutes les sauces sans que cela ne gène personne. Remercions la démocratie qui à défaut de procéder à un magnifique partage de l'intelligence, se gausse et se rassure d'être le vecteur de l'alphabétisation. Qu'on ne se trompe pas sur les véritables qualités que cela sous-entend. L'alphabétisation offre aux gens les outils d'éducation et le moyen d'approfondir leur réflexion sur la vie, la mort, le monde, les hommes etc. Le problème est que la volonté, muse de la curiosité, et outre l'origine sociale, ne s'apprend nulle part ailleurs qu'en soi-même. C'est ainsi que l'on trouve des enfants de pauvres qui, à la lampe torche, se besognent l'âme sur un vieux dictionnaire Larousse élimé et des gosses de riches, incollables sur toute la gamme de portable Nokia mais foutrement incapable de réciter le plus petit bout de poésie ou de soulever la moindre poussière d'intelligence curieuse… C'est un fait que l'on ne peut m'objecter. Je connais des enfants de mineur qui sont allés plus loin dans le Sens et la profondeur du langage que bien des fils de bonnes familles, sans doute trop effrayés à l'idée de se salir l'âme et les mains dans les bas-fonds de l'humain.
Ainsi fleurissent, comme du chiendent, les charlatans et autres faiseurs de littérature qui étouffent de leur nombre croissant et exponentiel les roses rares et sauvages qui parviennent à se hisser jusqu'à maturité. Car l'écriture, telle qu'il m'est donnée de la vivre, exige la même intensité, la même dextérité dans le maniement de la matière verbale que celle de la sculpture du bronze et du marbre. Et, sous le prétexte fumant, qu'il s'agit de l'emploi des mots (dont tout un chacun use à chaque instant) les amateurs pullulent et rivalisent de superficialité qu'ils qualifient, souvent de manière très pompeuse, de "style épuré" ou encore d'amour de la simplicité… Le problème est que leur simplicité parvient rarement à ce degré de profondeur qu'incombe celle-ci lorsqu'elle est utilisée par certains maîtres Zen, Rimbaud ou Satprem. La simplicité et le style épuré des faiseurs ne sont que la sonde qui témoigne du degré que leur pensée parvient à atteindre dans l'océan de l'esprit.

On ne devrait se servir que des matériaux dont on maitrise (ou que l'on tente de maîtriser) la force minérale ou verbale. On ne joue pas avec le feu si l'on a peur de se brûler. Et, pourtant, des mots brûlants, terrifiants, gigantesques sont utilisés tous les jours sous la plume ou dans la bouche de gnomes de l'esprit dont l'ineffable torpeur artistique et intellectuelle ne parvient pas à leur donner le Sens qui est le leur et dont ils se meurent silencieusement d'avoir été lésés. On devrait rendre payant, sur une échelle de souffrance et de sueur, l'utilisation de certain mot.
Pour utiliser le mot "démesuré", vous passerez une semaine sans dormir, ou très peu, en vous gorgeant de forces vins et d'alcools blancs.
Pour "liberté", vous déborderez constamment les règles de la bienséance et de la politesse en insultant votre patron et en affirmant votre constante différence par rapport à tous les troupeaux.
Pour "Amour", vous mettrez quotidiennement votre haine à l'épreuve, en épinglant d'une saillie furieuse la mièvrerie et la médiocrité des sentiments de vos collègues, proches et pseudos-amis.
Pour "rebelle", vous partirez au bout du monde, vérifier si vous pouvez vous passer des petits soucis qui forment habituellement le point névralgique de votre vie intérieure.
Pour "écriture", vous plongerez si loin en vous-même que vous ne pourrez en revenir intact, vous prolongerez l'étendu de votre domaine et de votre curiosité jusqu'en ces galeries souterraines qui forment les fondations de l'esprit humain. Et vous vous y perdrez, Diable, jusqu'à plus soif !

Le problème n'est pas aujourd'hui qu'il y ait trop de livre, le problème réside dans le fait que trop de gens – bien plus de la moitié – s'engage dans le mot et l'utilise sans jamais avoir appris à s'en servir. Il règne comme une incompétence de la phrase, une définitive corruption du vocabulaire, une inertie intolérable du sens. Le travail de l'écrivain aujourd'hui est bel et bien de "lester" de sens les mots afin qu'ils redeviennent naturellement plus difficile à manier, plus lourd de sens, plus profond dans leur capacité à créer le monde en le décrivant. Si la tâche peut apparaître comme désuète à bien des gens, artistes ou écrivains, elle n'en reste pas moins le point central de toute écriture viscérale, de toute écriture qui se veut traduction verbale des secousses du corps à l'intelligence de l'esprit. Je ne vois pas la nécessité d'une quelconque autre écriture. Cela doit être une recherche absolue, sans demi-mesure ni faux-fuyant. Le fait que chacun puisse l'accomplir est une vérité, le fait que chacun dut trouver en lui-même la curiosité et la force de dépassement en est une autre et le fait que personne ne puisse rien faire pour personne là-dedans est la dernière et sûrement la plus dure des vérités. On ne peut aider ou forcer quelqu'un contre son gré, il faut qu'il y ait une impulsion de l'intérieur (qui pourra éventuellement être provoquée de l'extérieur), sans quoi, c'est peine perdue. Cela devrait devenir le but de l'homme que ce dépassement constant, cette recherche intégrale. Quand la plupart perdent un temps précieux en divertissement et mascarade au lieu de s'atteler à la tâche, ô combien dure et ingrate, qui consiste à descendre en soi pour y découvrir ce qui s'y passe, pour y tenter l'aventure ultime de la connaissance et du savoir, on devrait s'étonner, dés lors, de la quantité de livre qui encombre les étalages putassiers des libraires proxos. L'écriture ne réside pas dans l'élite ni dans la classe, c'est une discipline qui nécessite sacrifice et courage, qui promet des immenses creux dans la mer intérieure, qui inclut une transformation fondamentale de l'être de celui qui la manipule à l'extrême. Ce n'est pas une coquetterie de l'esprit ou de l'ego, encore moins une flatulence en souffrance qui consiste à étaler sans vergogne des émois plus ou moins connus. L'acte d'écrire se fait dans le double maniement des mots et de leur sens ; de leur sonorité et de leur signification ; de leur vibration et de la possibilité de métamorphose qu'ils injectent dans la vie.
Et cela à tous les niveaux de leur utilisation, j'en veux pour exemple les styles de Satprem et de Marcel Moreau, qui sont aux antipodes l'un de l'autre. Le premier n'utilisant qu'une armature "simple" dans la formation de sa pensée, douce dans toute la violence qu'elle sous-entend, c'est-à-dire antilittéraire au sens des canons de Saint-Germain-des-Prés tandis que le deuxième, à l'extrême opposé, plonge dans les affres d'une langue épuisée en lui donnant la forme de torsade tout en tressaillement, saccadée au plus haut point du sens. Trop profond en l'occurrence pour plaire à la clique susmentionnée. On comprend qu'aucune règle ne puisse être valide en cette matière. Une chose, pourtant, est commune à tous ceux qui écrivent véritablement : c'est cette capacité inouïe à explorer le monde intérieur et à le transfigurer en fulgurance de beauté, sachant se réinsérer et se revendiquer de la longue filiation des chercheurs de vie, à travers les âges. Et qu'on ne me dise pas que nous sommes arrivés à un bout, une fin ou quoique se soit d'autre ! Cela ne fait que commencer ! Le vrai combat qui mène à l'incarnation ne fait que commencer ! Nous ne sommes qu'au début d'une transvaluation des valeurs qui mènera le genre humain de force, là où il aurait pu, depuis longtemps, se rendre de plein gré, de toute la puissance de sa conscience. Et l'écriture, l'emploi des mots dans le rythme de la vie, les réévaluations de leur sens, leur vibration primordiale dans le corps de l'homme, sont les travaux de première nécessité à entreprendre pour forcer la conscience à prendre une nouvelle direction. Il est certain qu'à la lumière de ces exigences, le flot des écrivaillons devraient se réduire de manière drastique. Pourtant, il n'en est rien et, pire, leur Nombre ne cesse d'augmenter… Ils ne sont d'ailleurs, pas grand-chose d'autre que ça, un nombre. Alors cherchez l'erreur, mes bons amis, cherchez-là bien car elle découle directement de votre discernement à ne pas cautionner une médiocrité toujours plus présentée comme, je l'ai dit, une simplicité salutaire face à l'outrecuidance élitiste des puristes de la langue et de l'idée. Foutre! J'ai suffisamment de respect pour mon intelligence et mes capacités de dépassement pour ne pas rallier l'infâme cohorte gargouillant des brebis qui courent après le dernier livre "qu'il faut avoir lu"...

30 avril 2008

EDITO - NUMERO 5 - CORPUS par Charles Letellier

Chers amis lecteurs,
Veuillez trouver ici l'édito du cinquième numéro d'Ananda qui comme d'habitude tarde à voir le jour mais qui, immanquablement, se contruit et sera relié dans les plus bref délais. Nous travaillons également à d'autres projets tels qu'un abécédaire, une collection de nouvelles etc. qui seront dehors en moins de temps qu'il n'en faut à un imprimeur pour imprimer une page recto-verso... C'est-à-dire, peu de temps, n'est-ce pas?
Je vous laisse avec l'édito et attends toujours l'irresistible flux de vos commentaires aiguisés...
C.L.
* * *
Lors d'un voyage dans une des dernières contrées sauvage d'Europe occidentale, par -19°C, j'en vins à essayer de me figurer le corps. Le corps dans sa capacité de dépassement, d'outre- surpassement, le corps d'une certaine grande santé comme disait l'autre. -19° C, un sacré déluge de pluie glacée, une pente brute recouverte de glace et ce corps, tenace et résistant, qui malgré la minceur des vêtements qu'il porte, n'en développe pas moins une chaleur incroyablement élevée. Des images de volcans sous-marins en éruption dans les eaux glacées des grands fonds se rappelèrent à mon esprit. Qu'en est-il du corps, pensais-je, le front dégoulinant de neige fondue et de transpiration en même temps? Qu'en est-il du corps à mesure que ses mécanismes charnels tendent tous vers le paroxysme?
Tout se passe comme si l'ensemble de la pensée actuelle s'évertuait à vouloir le tamiser, à lui soustraire ses effrayantes capacités de démiurge de l'humain. Effrayantes pour les tenants de son affaissement et pour les théoriciens de l'esprit pur qui se complaisent à le limiter à ses plus strictes obédiences : nourriture, sommeil, excréments, voire, pour les plus fins (devrai-je dire les plus minces?) d'une once de désir hédoniste où la part instinctive est recouverte de strates d'intellect toujours plus épaisses qui sont autant de catafalques la séparant du savoir direct, qui est celui du corps.
Le corps ne serait donc que ça, une usine à caractère bio-embarquée de retraitement de l'ordure individuelle, une engeance organique si peu estimée – puisqu'elle génère de l'ordure – qu'elle ne semble pas digne de ce que les savoirs intellectuels échouent immanquablement à incarner depuis des lustres. Le Savoir du corps est autre et il n'est guère décoré comme peuvent l'être les savoirs de l'esprit. Il est d'une nature brute, forcément cruelle puisque foncièrement impolie, il s'active sur d'autres fréquences que celles utilisées dans les milieux intellectuels de Paris et d'ailleurs, notamment ceux qui se disent détenteur de la nouvelle Vérité Officielle. Sans doute un problème de langage, n'est-ce pas?
On croit s'en libérer, du corps, en le rendant systématiquement invisible dans ses expressions premières : transpiration, pilosité, borborygmes variés, dégradations diverses etc. On célèbre le corps parfait des porteurs de slibard aux initiales en K, on en fait la vitrine en gonflette d'un bien-être repu de moisissures et de mensonges, rongé de l'intérieur par le manque fondamental de sens et d'énergie. On l'exhorte au mutisme de ses instincts viscéraux et, une fois de plus, on consomme comme une victoire la domination morbide que la Raison et l'Esprit font peser sur la Matière.
Après des siècles de médisance et de soupçons chrétiens, voici qu'avance à grand pas l'idéologie de l'aseptisation totale, du dédain intellectuel et du mépris spirituel pour tout ce qui touche de près ou de loin au corps. Il va de soi que l'humanité ne pourra réellement évoluer qu'avec la volonté farouche de développer une conscience absolue du corps, qu'en y versant une vie spirituelle et mentale si intense et si profondément vraie que ce dernier n'aura plus d'autre choix que d'exploser les petits gonds rouillés où la nouvelle et toujours bonne société nous dit qu'il doit se cantonner, ou de pourrir éternellement jusqu'à la mort, encore et toujours.
A l'aurore du CORPUS, chers lecteurs, je vous souhaite la bienvenue dans ce cinquième numéro d'Ananda qui fête ses deux ans.

8 février 2008

Et que tombe la Raison...

Préambule

Voici un texte relativement récent de Morin. J'ai pris la peine de le taper et de le mettre en ligne pour une raison particulière: c'est un texte qui s'attaque (avec une certaine pondération mais cela n'enlève rien à sa force de vision) à la Raison, celle, héritée des Lumières, et dont les déviances mettent actuellement la planète à feu et à sang.
Et quelle joie de trouver, enfin!, un penseur contemporain dont le regard dépasse les ridicules et minuscules luttes partisanes pour aller se poser au coeur d'un système planétaire qui nous menace toujours plus et toujours plus profondément. Il est évident que c'est une démarche qui n'est guère plus pratiquée par l'ensemble des plumitifs autoproclamés têtes pensantes de l'époque alors qu'ils n'en seront bientôt plus que les têtes pendantes...
Voici donc ce court texte dont j'ai changé le titre pour l'occasion. Pour ceux qui n'en n'auraient pas assez et voudraient continuer à se gorger de fort contenant verbal jusqu'à s'en faire péter la Raison précisemment, je conseille l'ensemble de l'oeuvre de Marcel Moreau, particulièrement, Moral des épicentres, Corpus scripti ou, tout récemment, une Philosophie à coup de rein, tous chez Denoël.
A bientôt, sur les terres d'ANANDA et de Vers de Rage...


" […] Tout ceci nous conduit à l'idée qu'il faut dépasser les Lumières. Il nous faut chercher l'au-delà des Lumières. Quand je dis "dépasser", je l'entends au sens hégélien de aufheben, qui veut dire intégrer ce qui est dépassé, intégrer ce qu'il y a de valide dans les Lumières mais avec quelque chose d'autre. Qu'est-ce que c'est que c'est au-delà des Lumières? Cela signifie tout d'abord qu'il faut réexaminer la raison, il faut dépasser la rationalité abstraite, le primat du calcul et le primat de la logique abstraite. Il faut se débarrasser de la raison provincialisée. Il faut prendre conscience des maladies de la raison. Il faut dépasser la raison instrumentale dont parle Adorno, qui est au service des pires entreprises de meurtre. Il faut même dépasser l'idée de raison pure car il n'y a pas de raison pure, il n'y a pas de rationalité sans affectivité. Il faut une dialogique entre rationalité et affectivité, une raison métissée par l'affectivité, une rationalité ouverte. Il faut donner force à ce courant minoritaire dans ce monde occidental ou européen, celui de la rationalité autocritique, qui de Montaigne à Lévi-Strauss, reconnaît ses propres limites et comporte l'autocritique de l'Occident. Autrement dit, il nous faut une rationalité complexe qui affronte les contradictions et l'incertitude sans les noyer ou les désintégrer. Ce qui signifie, une révolution épistémologique, une révolution dans la connaissance. Il nous faut essayer de répudier l'intelligence aveugle qui ne voit que des fragments séparés, qui est incapable de relier les parties et le tout, l'élément et son contexte, qui est incapable de concevoir l'ère planétaire et de saisir le problème écologique. On peut dire que la tragédie écologique qui a commencé est la première catastrophe planétaire provoquée par la carence fondamentale de notre mode de connaissances et par la méconnaissance que comporte ce mode de connaissances. C'est donc l'effondrement de la conception lumineuse de rationalité (c'est-à-dire celle qui apporte une lumière éblouissante et dissipe les ombres avec des idées claires et distinctes, avec la logique du déterminisme) qui, par elle-même, ignore le désordre et le hasard. Il nous faut concevoir une réalité complexe, faite de cocktail toujours changeant d'ordre, de désordre et d'organisation. Il faut savoir qu'il y a un principe d'organisation mais aussi de désorganisation dans l'univers avec le deuxième principe de thermodynamique. Il faut comprendre que l'univers est complexe et comportera toujours pour notre esprit incertitude et contradiction. Il faut comprendre qu'elle "est obscure la source même d'où naît notre lumière", comme disait Jean de la Croix. Il faut comprendre que c'est l'imprévisible et l'improbable qui arrivent très souvent. Il faut remplacer le progrès déterministe, le progrès nécessaire dans tout, c'est-à-dire dans la conception de la vie, la conception de l'histoire, la conception de l'univers. […] Il faut abandonner l'idée abstraite de l'humain qui se trouve dans l'humanisme. Idée abstraite parce qu'on réduit l'humain à Homo sapiens, à homofaber, à homo economicus. L'être humain est aussi sapiens et démens, faber et mythologicus, economicus, et ludens, prosaïque et poétique, naturel et métanaturel. Il faut savoir que l'universalisme est devenu concret dans la concrétisation de l'ère planétaire où l'on peut découvrir que tous les humains ont non seulement une communauté d'origine, une communauté de nature à travers leurs diversités, mais aussi une communauté de destin. Alors l'humanisme abstrait peut devenir concret.
Le progrès humain dépend aussi de la conscience humaine. Le progrès acquis doit sans cesse se régénérer. La possibilité de progrès se trouve dans ce que Marx appelait "l'homme générique", dans les potentialités inhibées par nos sociétés, par la spécialisation, par la division du travail, par la sclérose… Cette idée que l'on trouve chez Rousseau, est extrêmement importante chez Marx. Dans nos sociétés, seuls les poètes, les artistes et les inventeurs – en tant qu'êtres déviants – sont capables d'être créateurs et de générer quelque chose. Alors, se dessine une possibilité d'aller au-delà des Lumières, en les intégrant.
[…] S'il y a une société-monde, elle sera le produit d'une métamorphose car ce sera une société de type nouveau et non pas une reproduction gigantesque de nos Etats nationaux actuels. Ceci est sans doute improbable mais toute ma vie j'ai espéré dans l'improbable et parfois mon espoir s'est trouvé exaucé. Notre espérance est le flambeau dans la nuit: il n'y a pas de lumière éblouissante, il n'y a que des flambeaux dans la nuit. "

© Edgar Morin.
Extrait du texte Au-delà des Lumières (Le partage des connaissances, 2005)
In Vers l'abîme?, L'Herne, nov. 2007.

4 janvier 2008

AVIS à la population!

Le prochain numéro d'ANANDA est lancé.
Son thème : CORPUS.
Le corps d'aujourd'hui, affaissé et distordu entre les mièvres revendications d'une asseptisation progressive et la nécessité d'ouvrir ce dernier aux saveurs fulgurantes qui forment tout autant qu'elles déforment ses infinies possibilités.
A tous ceux qui s'égarent subrepticement sur ce blog et qui ont la plume qui s'échauffe à la pensée d'écrire le CORPS, j'attends vos textes avec une impatience curieuse...