Ebullitions - Part 6 - Epilogue temporaire - Par Charles Letellier
Une voix s’éleva dans la pièce que Joseph ne reconnu pas tout de suite. Après quelques instants, il identifia sa voix, cassée et distordue. L’intonation ne laissait effectivement aucune place aux détractions bouffonnes.
« Mais qu’est-ce que tu racontes bordel ?! Tu vois pas que t’es ridicule ? Tu parles de quoi ? Tu veux me faire croire que t’es yogi, ma cocotte ? Tu te fous de ma gueule ? Tu veux que je t’en mette une ? À une autre époque, on t’aurait torturé pour avoir sorti de telles inepties, tu n’aurais eu aucun droit parce qu’aucun mérite ! Tu aurais risqué la torture pour faute de mot ! Tu veux être comédienne ? Sais-tu pourquoi au moins ? – Euh ben oui, j’aime bien jouer… fit une voix apeurée et timide – T’aimes bien jouer !? Ahaa ! Mais ça suffit pas ça ! Petite gonzesse ! T’aimes bien jouer ?! Mais moi aussi j’aime bien jouer ! Tu veux jouer avec moi ? Avec tes tripes, j’vais me faire un joli petit collier ! Tu vas voir ! Semenoff, donne-moi un couteau ! Donne-moi un bout de ton intestin ! Aaaarrrggghhhh ! Vas-y un peu de générosité merde ! Tu m’entends ?! La philosophie indienne ?! Mais malheureusement pour toi, tu n’y connais rien !! Et moi, qui ai lu, qui lis, qui ai même fait des traversées, moi, j’en parle même pas ! Tu comprends ?! Trop subtil pour en parler comme d’un maudit paquet de pâte ! Et toi, tu prétends nous l’apprendre à moi et à mon pote ? T’es rien, tu m’entends ?! T’es tellement pleine de fausses manières, de faux airs, de fausses intelligences, de faux, de faux, de faux ! Toujours la même chose ! Tu es fausse de la tête au pied ! Creuse et incertaine ! Floue ! Tu es floue ! Même tes mensonges ne sont pas véritables ! Et tu veux jouer ? Tu te prétends Yogi ? Tu fais de la lévitation ? Mais tu veux que je te mette un claque, ma pauvre petite ? Allé, rentre chez ta mère immédiatement et arrête de faire mu-muse dans la cour des vrais. Muse de mes deux ! Tu es médiocre, inexorablement médiocre, éperdument médiocre, fondamentalement médiocre et tu veux jouer dans la cour de l’art, tu veux jouer ? Tu veux que je te baise ? Là tout de suite si tu veux ? Si t’oses ? Viens, j’vais te faire répéter, moi ! Tu veux jouer ? Mais qu’est-ce que tu veux jouer ? Ton petit air sirupeux de yogi et de philosophie indienne, ton amour de l’humanité et ta haine du cancer et de la pauvreté, ton bien-être et ton putain de végétarisme morbide ? T’es venu jusqu’ici pour ça ? Pour nous dire ça ? Pour nous montrer ça ? Mais diable !! Hors de ma vue ! Va rejoindre tes petits copains pseudo-artistes et pro-conformables et laisse nous jouer le rôle des Véritables-cruels… Va ! Pointes-nous du doigt tout haut! Et n'oublie pas de ramper tout bas quand tu nous aperçois crever la dalle sur le pavé ! Fais ton boulot de Sainte-Médiocre ! Mais ne prie pas pour moi, hein !, bigote aussi suffisante qu’insuffisante ! En attendant, prouve-moi ton talent en lévitant ton cul jusqu’à la porte et de là, jusqu’à la rue ! »
La bande s’arrêta alors qu’on entendait déjà du verre se cassait et une bousculade.
- Bon. Je te passe les détails. Et là, tu te rassois, te sert un verre – forcément ça assèche de parler autant d’un coup – et tu te mets à rire en continuant de pester contre la pauvre fille qui, du coup, s’est barré illico, croyant bien que sa dernière heure avait sonné. Je crois qu’elle a vraiment cru que tu allais mettre tes menaces à exécution …
Il l’observa pour trouver dans ses yeux l’infirmation morale à sa dernière remarque. Il ne l’a trouva pas et sourit de ses dents aussi blanches que possibles.
- T’es terrible à la fin…
- C’est pour ça qu’il est venu te voir le mec d’à-côté ?
- Bien sûr ! et toi tu te pointes la bouche en cœur aujourd’hui en me disant que tu te rappelles de rien !