22 mai 2007

Totale Régression (deuxième partie)

Avant toutes choses, chers amis, je vous invite ici à découvrir les membres qui composent, à titre posthume (mais tous ne sont pas morts), le gouvernement idéal, forme souveraine de la quintessence de l'esprit humain en proie au temps, et que mon ami Falkowicz vient de mettre au point. D'ailleurs que cela puisse se vérifier à chaque époque ne fait aucun doute: on a les gouvernants qu'on mérite; c'est dire la médiocrité (infâme), le dégoût de soi et l'inculture (profonde) qui règnent parmi toutes les populations autant que sur les 15 salopards récemment promus aux différents portefeuilles ministériels qui souillent la capitale de leur ombre corrompue.
Desproges, le Grand Desproges, disait : "les imbéciles ont le droit de vote, c'est pas compliqué, y a qu'à voir le résultat..."
Le retour en masse de la Peur (j'en parlais l'autre jour) et de la bondieuserie néolibérale selon laquelle il est préférable de perdre-sa-vie-à-la-gagner plutôt que de devenir un Homme libre et éduqué dans le souffle brûlant de la pensée et du monde et ainsi de s'élever vers une dignité dont la qualité ne va certes pas de paire avec l'intensité, c'est deux leitmotivs (Peur et Travail) donc, marquent le début d'une furieuse période de répression de l'Inutilité et du Désintéressement. La rêverie, la sieste, une certaine douceur de vivre entre un chêne centenaire, un étang et la fille du boulanger, les journées lascives où la pluie détient les clefs de la jouissance seront désormais considérées comme des activités supplémentaires devant être justifiables par rapport au temps totale passé hors du travail. Activités non productrices (même si elles peuvent conduire à la reproduction) s'il en est, la tranquillité du corps et la méditation de l'esprit ne pourront plus octroyer à l'homme les valeurs sacrées de la Démesure et de la Lucidité.

Et à force d'exiger que la sécurité, la prudence et l'odieuse panoplie du bon travailleur soient les principaux oripeaux de sa société, le citoyen-citoyenne s'enferme, au fur et à mesure, dans la nasse puante où son esprit, rendu déjà gravement léthargique par excès de démocratie et d'hamburgers tièdes, ne fera que continuer de se défaire en une lente défécation de ses sens dans les chiotards tous propres de son bonheur appris.
A travers le refus des repères qui placèrent la société en mesure de se libérer d'une partie des dogmes que la horde était jusque là parvenue à maintenir, par la mise en avant d'une pensée toujours plus simple dans la brutalité de ses oublis et la grossièreté de sa communication, l'abrutissement va désormais devenir général et les mots – toujours en première ligne – s'apprêtent, une fois de plus, à subir le rapt que les malandrins de la politique vont lancer contre leur Sens – L'assaut va être terrible. Et il faudra toute leur fureur, leur lucidité et leur style, à ceux qui n'entendent pas se laisser et participer à la déconfiture salée qui pénètre tout. Ce n'est pas la première fois qu'une telle attaque est portée contre les mots – Loin de là – et toujours, il s'est trouvé des êtres forts pour organiser la résistance. C'EST Là NOTRE TRAVAIL! Notre double travail: quotidien, dans la rue, avec nos proches et nos moins proches et dans l'orientation extrême de notre exigence face à la bêtise et l'ignorance, ces pestes qui n'ont même pas le pouvoir de tuer.

L'époque est à l'extrême pointe Nord de la médiocrité. Une telle médiocrité peut allégrement s'empresser de mentir à son sujet en feignant de n'être que la manifestation suprême de la force de la raison et de la démocratie, son allié bande-mou.
L'époque est à la plus extrême pointe Nord de la médiocrité, l'étoile du berger pour des nations vautrées sur elles-mêmes avec, ici et là, les inquiétants rougeoiements des volcans indépendants et furieux qui forment la présente cartographie de ce qu'il y a de plus terrestre en l'homme: la démesure.
L'époque est à l'extrême pointe Nord de la médiocrité et se considère comme supérieure du fait du perfectionnement indéniable de ses gadgets qui, d'ores et déjà, constituent l'horizon indépassable de son aura intellectuel et spirituel.

A l'inverse de ce flasque extrême qui brille avec toute l'intensité d'une diode, j'oppose la force brûlante du centre – épicentre s'entend – qui fulmine de tout son corps à rendre incandescent ce qu'on lui apprit tiède. Les complaintes visqueuses, les atermoiements morveux aussi bien que les réclamations bâtardes et commerçantes à l'attaque du marché aux voix sont bien peu de choses face à la ténacité aigüe et silencieuse, à la descente intracorporelle et au souffle constant de l'émotion de savoir être unique et lucide, gravement. Pareil que la frivolité! Dans une époque tout entière dédiée à la légèreté et à l'amusement – au jeu – nul joyeux désespoir, nulle fulgurance légère dans l'œil triste d'un Clown, au pied de l'échelle, nulle férocité du Verbe afin de désacraliser les angoisses mortelles car, au reste, est-ce qu'elle se gêne, la Mort, Elle, pour se rire de nous? (Desproges) La légèreté de notre époque est nimbée d'une bêtise sans pareil, dénuée de tout sens, exsangue des répétitions de l'histoire. Et, de même que la "victoire" de la raison ensanglante la planète entière, le lourd règne de la légèreté plonge les cœurs au fond de l'abîme creuse de la pure gravité, qui n'a, encore une fois, même pas le talent d'être profondément grave.

Je voudrais conclure sur une note plus légère mais j'avoue y trouver quelques difficultés car la régression est totale qui nous mena jusqu'ici.
La seule chose qui me fait poursuivre et qui me fera poursuivre encore longtemps, la seule fureur salvatrice qui maintient l'ébullition constante dans mon cortex est de savoir qu'il m'est donné de vivre l'époque la plus immensément fascinante, la plus terriblement dure qui soit donnée à vivre à une âme remplit d'émotion et d'amour. Et c'est ça que j'aime plus que tout. Que se soit dur. L'honneur et la fierté personnelle n'en sont que plus revigorés, l'orgueil plus fort, plus serein, la santé et la force vitale plus grandes. C'est ça que j'aime! Car au plus profond, dans l'âtre tellurique des épicentres dangereux réside la certitude profonde que seule l'impitoyable guerre que l'on se livre, et dont l'écriture est une preuve, nous permet d'être en vie et d'arracher à celle-ci les forces de la changer pour de bon.


C. Letellier
Le 21 mai 2007

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Desproges disait aussi "Les adultes ne croient plus au Pére Noel,ils votent"

Anonyme a dit…

La lucidité, cher Charles, est une lutte, un combat sans répit, une "démesure" désespérée: le gouffre de souffrance nécessaire, inévitable, si on a la force de l'accepter, de le Voir, de l'endurer. Si on a la force de ne pas fuir ce qui nous heurte, alors les bienfaits finiront par se faire ressentir. De quelle manière? sans doute pas par l'obtention d'un "bonheur appris", mérité comme une récompense marchande (mérite-t-on jamais d'être heureux?) ; mais par l'élevation de l'âme ou de l'esprit - la force vitale qui nous anime, mettez-y le mot que vous voudrez - l'enrichissement du coeur, une légèreté et insouciance du corps DECULPABILISE (je parle de la faute que nous fait porter un Ordre, dont un des impératifs par exemple concerne le Travail, et implique justement un sentiment d'exclusion, de culpabilisation, à l'endroit de ceux qui refusent en BLOC les aliénations salariales) ; donc disais-je avant d'être grossièrement interrompu par moi-même, je parle aussi du bienfait d'une conscience lavée de tout subterfuge religieux (la religion sociale plus que celle qui fait intervenir une transcendance divine) ; en définitive, l'abolition constante de la réification des rapports humains.

Donc oui, "organiser la résistance", par l'écriture - une réappropriation du "centre" névralgique d'un organisme en reconstruction. Je me rappelle d'ailleurs d'une discussion récente au téléphone où tu me parlais d'"entraînement intensif du corps": face à l'adversité, effectivement, un entraînement militaire est requis. Plus de droit à l'erreur. Pas une minute à perdre. - Condition essentielle pour espérer, tôt ou tard, retrouver certaines "clefs de la jouissance", comme la pluie, ou la neige...

David Falkowicz